De la crise de la politique à la crise de l’immobilier. Les gros titres de la presse fusent sur le retournement du marché immobilier. Chute des transactions, baisse annoncée des prix, explosion du coût du crédit…
Les marchés immobiliers se sont clairement retournés depuis que les banques centrales ont remonté les taux directeurs. Les professionnels immobiliers ont beau avoir alerté sur cette crise qui vient. L’exécutif leur a répondu par un silence éloquent. Retour sur les raisons de ce nouveau cycle.
1. Des taux d’intérêt qui explosent
Au lendemain de la pandémie, le monde s’est réveillé avec une nouvelle maladie, que les plus anciens connaissent bien : l’inflation. La réaction des banques centrales a été rapide et violente. Pour ralentir la dynamique de hausse des prix, la FED suivie par la BCE a pris le parti de remonter les taux directeurs afin de calmer la croissance économique, voire la casser.
En moins de deux ans, les taux d’intérêt ont pris plus de 500 points de base aux Etats-Unis. Avant sa réunion du 14 septembre, la BCE a relevé son taux directeur de 0,25 % à la rentrée, le portant à 4 %, le plus haut niveau jamais atteint depuis la création de l’Euro. La Banque d’Angleterre affiche un taux de base à 5,25 %. L’objectif est de ramener l’inflation à 2 %. Pour autant, celle-ci ne semble pas ralentir. En août, elle était encore de 5,3 % dans la zone euro, selon Eurostat.
2. Des prix appelés à baisser
La brusque augmentation du coût du crédit immobilier a bien évidemment obéré une grande partie du pouvoir d’achat des ménages. Et cela se ressent dans l’évolution des prix. L’indice Notaires-Insee publié début septembre montre un très net coup de frein de la hausse des prix depuis la mi 2022. De 6,8 % au deuxième trimestre 2022, la hausse a reculé à 6,4 %, 4,6 %, 2,7 % et à présent 0,5 %. « Les années folles sont terminées ; on va passer à un autre paradigme de l’immobilier », a reconnu la présidente de la commission statistiques immobilières des Notaires du Grand Paris, Élodie Frémont, dans une conférence de presse.
Dans les avants contrats, la baisse des prix est davantage visible. Le site Meilleurs Agents rapporte dans sa dernière étude une baisse des prix de -0,4 % au niveau national sur les douze derniers mois, une situation inédite depuis 7 ans. Si cette bascule en territoire négatif n’a à première vue rien d’impressionnant, elle détonne face au +6,2 % enregistrés en France l’année dernière », souligne le site. Surtout que la baisse n’épargne plus aucun segment du marché, touche plus de la moitié des villes et s’étend même aux zones rurales.
Comme un symbole, Paris franchit à la baisse la barre des 10 000 € du mètre carré. La capitale accuse une baisse historique de ses prix de -7,6 % depuis juillet 2020, selon Meilleurs Agents. « Du jamais vu ces 20 dernières années, même lors de la crise financière de 2008 », s’émeut-on chez Meilleurs Agents.
D’autres métropoles régionales ne sont pas en reste. Avec -8,6 % et -8,1 %, Bordeaux et Lyon connaissent les plus fortes baisses sur ces douze derniers mois. Les 10 premières métropoles régionales accusent une baisse plus modérée, en moyenne de -1,1 % sur la période.
3. Une chute drastique des transactions
Si la baisse des prix peut réjouir les candidats à l’acquisition, elle refroidit les vendeurs dont le premier réflexe est… de ne pas vendre. Le nombre de transactions, qui avait atteint un record absolu (plus de 1,2 million) en 2021, continue de reculer. Pour l’ensemble de la France hors Mayotte, il s’est établi à 1 million, un chiffre toujours supérieur à la moyenne historique, tempère néanmoins l’Insee. Le site Meilleurs Agents se veut un peu plus pessimiste en tablant sur 890 000 transactions cette année dans l’ancien, en recul de -20 % par rapport à 2022.
Au-delà des vendeurs qui rechignent à céder leur bien moins cher qu’il n’espérait, c’est aussi un problème d’acheteur, particulièrement pour les primo-accédants. « La question reste à savoir qui peut acheter en dépit du recul des prix », souligne un observateur du marché. 90 % des primo-accédants ont actuellement la capacité d’acheter un 50 m^2, mais ont-ils pour autant intérêt à sauter le pas de la propriété ?, s’interrogent les équipes scientifiques de Meilleurs Agents. Pas forcément… « Dans les conditions actuelles, il leur faudra douze ans en moyenne pour rentabiliser leur achat, c’est-à-dire pour se constituer un patrimoine au moins équivalent à celui qui aurait été le leur en restant locataire. Cette durée a été multipliée par huit en à peine deux ans ! », ont-ils calculé.
Dans ses prévisions, le site se veut plus rassurant. « L’octroi de crédits ne devrait plus être un facteur bloquant pour le marché immobilier d’ici quelques mois. En effet, à la faveur de la spectaculaire hausse des taux de ces derniers mois, les marges des banques sont en train de se reconstituer leur permettant de rouvrir le robinet du crédit », explique-t-il. Pour autant, cette bonne nouvelle ne sera pas suffisante pour relancer le marché. « En réglant le problème de l’offre de crédit, la hausse des taux en a asséché la demande qui devrait continuer de se dégrader dans l’année à venir, prédisent les scientifiques de Meilleurs Agents. De plus, les biens à vendre vont continuer de s’accumuler. Par conséquent, la baisse des prix devrait s’accélérer et le nombre de transactions encore diminuer l’année prochaine », préviennent les experts du site qui pronostiquent un recul de -4 % des prix en 2024 et un volume annuel de 800 000 transactions (-10 % par rapport à 2023).
4. L’exécutif coupe les moteurs
C’est dans ce contexte que le gouvernement a décidé de couper un certain nombre d’aides au secteur. Dans son plan de relance tiré des discussions du Conseil national de la refondation pour le logement, la Première ministre Elisabeth Borne a confirmé la fin du dispositif Pinel d’incitation fiscale à l’investissement et a prolongé le prêt à taux zéro tout en le restreignant aux seules zones tendues. Au passage, le gouvernement économiserait 2,3 Mds€. Des « mesurettes » dénoncées par les professionnels qui attendaient un « électrochoc ». Dans un communiqué de presse commun, les principales organisations représentatives des professionnels de l’immobilier et de la construction (Fnaim, FFB, FPI, Procivis, Unis, Unsfa) dénoncent notamment le « mépris » du pouvoir exécutif vis-à-vis du secteur.
« Les annonces du gouvernement en matière de logement suscitent la colère des professionnels. Environ 200 personnes impliquées et sept mois de travail réduits à néant ? Il n’y a plus de politique du logement », regrettent-ils. Les grands patrons des sociétés du secteur immobilier se sont également émus de la situation. Véronique Bédague, la patronne du premier promoteur national, Nexity, un temps pressenti pour être à Matignon, a évoqué dans les colonnes du Monde une crise du logement « violente ». « Les chiffres sont encore pires que ce qu’on pouvait anticiper ».
5. Silence radio à l’Élysées
Quelles seront les conséquences de cette crise du logement ? C’est d’abord la crainte que la crise du logement d’aujourd’hui devienne la bombe sociale de demain. On a vu à la rentrée les premiers effets du retournement du marché avec un assèchement de l’offre locative. Résultats : des milliers et des milliers d’étudiants ne peuvent se loger faute d’offre disponible.
Les professionnels évoquent également un véritable tsunami sur l’emploi dans la filière. « On s’attend d’ici 2025 à 300 000 pertes d’emplois, à peu près 150 000 dans le bâtiment, et 150 000 dans tout ce qui gravite autour, bureaux d’études, promoteurs, assureurs, etc. », a déclaré le président de la FPI Pascal Boulanger. Cette crise va aussi peser sur les finances locales. La chute des transactions se traduit par une diminution parfois drastique des droits de mutation, les fameux « frais de notaire ». À Paris, on parle d’un trou de près de 500 M€ dans les caisses de la ville.
« Il flotte dans l’air l’idée que le logement ne serait pas productif. Pourtant, loger correctement les Français, donner aux jeunes les moyens d’avoir accès à leur formation, leur redonner de l’espoir, faire que tous les ménages pensent qu’ils peuvent bouger, c’est un investissement qui est assez productif pour le contrat social », explique Véronique Bédague dans les colonnes du Monde. Un parfait résumé des enjeux autour du logement. Mais, c’est la présidente de Nexity qui s’exprime, non celle qui aurait pu être nommée Première ministre.